Dans la capitale sénégalaise, les manifestants ont obtenu le retrait d'un projet de loi qui modifiait le mode de scrutin. Reportage.
(De Dakar) Plusieurs blessés, des jets de pierre, des tirs de grenades lacrymogènes, des canons à eau, bastonnades et voitures brûlées… La situation a tourné à l'émeute, jeudi dans le centre-ville de Dakar, lors de manifestations contre un projet de loi perçu par l'opposition comme préparant une succession « monarchique » au pouvoir du président Abdoulaye Wade. Ce dernier a entendu le message, et a annoncé jeudi soir le retrait pur et simple de son projet.
Crainte d'une « dévolution monarchique du pouvoir »
Jeudi, l'Assemblée nationale, dont les membres sont à 88% membres du PDS, le parti au pouvoir, examinait le projet de loi du président Wade, qui institue en particulier l'élection au suffrage universel d'un président et d'un vice-président, un « ticket » qui remplace la désignation du seul président.
Le projet de loi prévoyait :
« En cas de démission, d'empêchement définitif ou de décès en cours de mandat, le président de la République est remplacé par le vice-président. »
Une décision qui a suscité la polémique alors qu'opposition et société civile craignent depuis des mois une « dévolution monarchique du pouvoir » d'Abdoulaye Wade, 85 ans, au profit de son fils Karim, 42 ans, actuellement à la tête de pas moins de quatre ministères.
Une autre disposition prévoyait l'instauration d'un « quart bloquant » : un ticket était déclaré élu s'il réunissait au moins 25% des suffrages exprimés. Opposition et société civile considèrent qu'il s'agit ni plus ni moins d'une suppression du second tour.
Coup de théâtre jeudi soir, puisque la réforme du mode de scrutin a été retirée. La prochaine élection présidentielle sénégalaise, en 2012, se fera donc sous l'ancien système, comparable au modèle français.
Il reste désormais à voir si ce recul du président Wade suffira à apaiser le climat particulièrement tendu.
La « préoccupation » des Etats-Unis
Mercredi soir, l'ambassade des Etats-Unis à Dakar avait exprimé sa préoccupation face à ce projet de loi qui menace de plonger le Sénégal, l'un des pays-clés de l'Afrique de l'Ouest, dans une période de profonde instabilité. Les affrontements avaient commencé la veille dans la capitale sénégalaise, avec l'apparition de pancartes inspirées par la révolution tunisienne : « Wade dégage ! » (Voir la vidéo)
Plusieurs personnes ont été blessées dans les nouveaux affrontements de jeudi. Parmi les blessés, selon l'AFP, figure Alioune Tine, président de la Rencontre africaine des droits de l'homme, à la pointe de la contestation contre le projet de réforme constitutionnelle.
Alioune Tine se trouvait en compagnie de l'ancien ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidiane Gadio lorsqu'il a été attaqué par des présumés « hommes de main » d'un responsable du parti présidentiel.
Les émeutiers s'en sont notamment pris à l'hôtel des députés, qui se trouve à Dakar Plateau, à coté du marché Sandaga, qui a été incendié. (Voir la vidéo)
La journée en images et en sons
Aissata Tall Sall, porte-parole du Parti socialiste et Moustapha Niasse, leader de l'Alliance des forces de progrès, arrivent à l'Assemblée nationale, acclamés par les manifestants. (Ecouter le son)
Les étudiants ont rejoint le point central de la manifestation devant l'Assemblée nationale et joignent leurs cris de colère à ceux de la foule. (Ecouter le son)
Des manifestants s'en prennent ouvertement au Président et aux membres de son parti. (Ecouter le son)
Les forces de l'ordre chargent les manifestants à quelques pas de l'Assemblée nationale. (Ecouter le son)
Photos : Dakar, le 23 juin 2011 (Damien Langry).