Chapitre 2 ♦ La malédiction de la Françafrique
Dans le chapitre précédent, nous avons cité une phrase d'Omar Bongo Ondimba à travers laquelle il reconnaît clairement l’échec de sa politique :
Dieu ne nous a pas donné le droit de faire du Gabon ce que nous sommes en train de faire. Il nous observe, il dit amusez-vous ; mais le jour où il voudra aussi nous sanctionner, il répare.
Afin que tu comprennes comment Omar Bongo en est arrivé à des jérémiades après quarante-deux ans de règne, il nous faudra faire un petit voyage dans le passé. Tu dois commencer par examiner la relation entre le Gabon et la France. Cette relation s’inscrit dans un vaste réseau d’intérêts politiques, économiques, financiers, militaires appelé Françafrique.
Chaque jour, tu entends péjorativement parler de la Françafrique comme d’un monstre. C’est un peu sa nature. Elle s’est construite non pas sur la base des liens entre Etats souverains. Elle a plutôt été mise en place afin de maintenir la domination de la France sur ses anciennes colonies et de lui assurer le monopole d’exploitation des matières premières, dont elle avait besoin pour développer son industrie, puis devenir une puissance économique et militaire mondiale. En Afrique, il fallait à la France des hommes fidèles. Des hommes auxquels elle pouvait avoir une confiance totale. Omar Bongo faisait partie de ces hommes-là.
Je vais te raconter une autre petite anecdote sur l’histoire récente de l’Afrique. Elle se rapporte à Léopold Sédar Senghor, ancien président du Sénégal, et Omar Bongo Ondimba. Senghor a laissé son nom gravé sur les tables de l’Histoire universelle. Agrégé de lettres classiques, il fut tour à tour, tirailleur pendant la Seconde Guerre mondiale, professeur de français à Saint-Maur-des-Fossés (non loin de là où je t’écris), député à l’Assemblée nationale française, président de la République, membre de l’académie française, poète, philosophe de la Négritude, du concept de « l’Universel » et de la pensée métisse, l’un des pères fondateurs de la démocratie au Sénégal. Tu vois bien que Senghor était un personnage d’une stature mondiale. A côté, Omar Bongo ne soutient pas la comparaison. Quand Senghor décède en France et est inhumé au Sénégal le 29 décembre 2001, aucun président français ne daigne assister à ses obsèques. Ulcéré, Erik Orsenna, membre de l’académie française, hurlera sa révolte dans une adresse parue au quotidien Le monde, intitulée « J’ai honte ».
Compare alors avec les funérailles d’Omar Bongo Ondimba à Libreville. Le président Nicolas Sarkozy, son prédécesseur Jacques Chirac et tout ce dont la France compte comme personnalités politiques de haut rang y ont pris part. Pose-toi la question suivante : qu’est-ce que Bongo a accompli et laissé dans l’Histoire qui lui a valu tant d’honneur ? La réponse est simple. L’Etat français, tout entier, s’est mis en branle pour honorer la mémoire d’un homme qui a travaillé toute sa vie à la préservation des intérêts militaro-économiques de la France en Afrique et a énormément financé la vie politique française.
Au sortir de la colonisation, la France avait passé un marché avec certains dirigeants de ses anciennes colonies. On a alors parlé « d’accords de coopération ». Contre le monopole d’exploitation des ressources naturelles, elle devait assurer aux chefs d’Etats de son pré carré un soutien sans faille. Les dirigeants africains ont donc fonctionné à l’image des gouverneurs au service d’un empire.
Au
Gabon, la Françafrique a commencé à s’affirmer avec force lorsque Léon Mba, premier président du Gabon, fut renversé par des militaires en 1964. Les militaires ne cherchaient pas à s’emparer du
pouvoir. D’ailleurs, ils l’ont aussitôt cédé à Jean-Hilaire Aubame, un civil. Le coup
d’Etat était une dénonciation de la dérive autocratique vers laquelle tendait le régime de Léon Mba. Régime qui semblait reproduire les brimades et les brutalités dont les Africains (Léon Mba
en paya lui-même le prix par un exil en Oubagui-Chari, l’actuelle Centrafrique) avaient été victimes tout au long de la colonisation. Exemple : si le président Léon Mba venait à passer
dans une rue de Libreville et que les passants refusaient de le saluer, il pouvait les faire arrêter, les faire fouetter et même les jeter en prison. Cet exemple est purement anecdotique. La
vraie raison du renversement de Léon Mba était due, comme je te l’ai dit tout à l’heure, au
refus d’un régime hyperprésidentiel qui cherchait à concentrer l’essentiel des pouvoirs et voulait neutraliser tout contre-pouvoir. Tu le sais peut-être, Léon Mba fut remis en selle grâce à la
France. Et Omar Bongo fut un important acteur lors de ces évènements qui devaient sceller le destin postcolonial de ton pays. Il allait connaître, plus que tout autre chef d’Etat africain, une
ascension fulgurante. En quatre années seulement, il passa de directeur de cabinet chargé de la défense nationale à président de la République. Bongo fut l’homme que la France avait choisi afin
de sécuriser ses intérêts économiques au Gabon, garantir son dispositif militaire et géostratégique en Afrique noire.
Chapitre 3 ♦ Omar Bongo Ondimba, un renard politique
Veinard et roublard, Omar Bongo l’aurait été toute sa vie. Dans les années 1960, il n’était pas le plus brillant des Gabonais. Il ne faisait même pas partie de la méritocratie coloniale. Il avait juste « une bonne étoile ». Celle-ci lui a permis d’être au bon endroit quand il le fallait.
Je dois t’avouer qu’Omar Bongo m’a toujours intrigué. Surtout l’expression de son visage. Je t’invite à observer ses photos de jeunesse, quand il est entré au cabinet de Léon Mba. Le fond de ses yeux en clair-obscur, les plis dans le creux de son visage, sa moustache, sa coiffure d’inspiration afro-américaine, son air jovial lui ont toujours donné une sorte de grâce malicieuse. Si tu l’observes attentivement, il te fera penser à un renard. Un animal très rusé. Autant nombre d’acteurs politiques gabonais de l’époque arborent souvent une mine sévère, sérieuse, rigoureuse, autant Omar Bongo m’a toujours apparu espiègle comme si la politique était avant tout un jeu. J’ai fini par associer son visage à la malice, à la manipulation, à la dissimulation, au secret.
L’expression faciale de Bongo est très différente de celle de son fils. Le visage de ce dernier fait davantage penser à celui de l’ancien dictateur centrafricain Jean Bédel Bokassa, alors que sa carrure massive évoque celle d’un autre dirigeant africain de réputation ignoble, l’Ougandais Idi Amin Dada. Ce que je dis là n’a rien d’une insulte. Il s’agit d’une simple impression. D’un jugement esthétique. Il ne prétend guère à la vérité. Le visage de Bokassa était rond et mafflu. Il avait la forme d’un masque terrifiant, qui cachait une personnalité brutale. Si j’avais à poser le visage de Bokassa sur un animal, ce serait une race de chien appelée bull-dog.
Tout au long de sa vie, Omar Bongo aura été un véritable « renard politique ». Fin tacticien doublé d’un redoutable stratège, il a toujours su manœuvrer ses adversaires, retourner les situations les plus difficiles en sa faveur. Cette qualité lui a permis de se mettre la quasi-totalité de la classe politique française dans la poche. Quand il débarquait à Paris, l’Hôtel Crillon où il avait ses habitudes ressemblait à la cour de Louis XIV. On y voyait défiler tout le gratin politique parisien. Bongo était ainsi courtisé en raison de sa connaissance fine de la politique intérieure française, dont il arrosait de finances de l’Etat gabonais. Bien sûr, son jeu était double. Son implication dans la vie politique française était due, d’une part, à sa maîtrise de la stratégie politique (c’est bien lui qui aurait conseillé à Nicolas Sarkozy l’idée d’ouverture pour affaiblir la gauche ; mais l’idée s’est révélée courte car la France est une vieille démocratie rompue aux clivages idéologiques). Elle visait, d’autre part, à la consolidation de son propre pouvoir par l’achat du soutien de ses amis français. Omar Bongo était devenu si habile dans les mécanismes clientélistes structurant la Françafrique qu’un observateur politique français a parlé de « colonisation à l’envers ». Bongo semblait avoir en effet bien saisi l’âme de la France, vieille nation catholique nostalgique de la tradition monarchique, où les hommes politiques révèrent les privilèges, les honneurs, le pouvoir et l’argent qu’il savait leur distribuer. A sa prodigalité légendaire, Bongo ajoutait le cliché du « vieux Nègre sage et semi-bouffon », cliché qu’il enfilait pour séduire les politiciens français, eux-mêmes prisonniers du double masque de néo-colon et de courtisan.
Omar Bongo Ondimba, un as de la stratégie et de la tactique politiques. Cela est incontestable. Il pariait sur les hommes comme d’autres misent sur les chevaux. D’où son goût pour la métaphore équestre. La « Françafrique » lui apparaissait comme un terrain de course où la « France-jockey » montait « l’Afrique-jument ». Et Je puis te dire que son dernier grand « jockey », sinon « joker », s’appelle Nicolas Sarkozy, le président français actuel. Je te confie un fait curieux : le soir même de son élection en 2007, Nicolas Sarkozy s’empressa de passer un coup de fil à Bongo quand l’usage veut que les chefs d’Etats adressent des félicitations à leur homologue nouvellement élu. J’utilise ici le mot investissement à dessein. Il est courant dans le monde des affaires. On investit en vue de dégager des bénéfices. En misant sur Sarkozy, Omar Bongo assurait les arrières à son fils dans la perspective d’une succession préparée de longue date. Les élections anticipées de 2009 n’étaient qu’un leurre. Une parodie. L’avènement d’Ali Ben Bongo au pouvoir fut tout simplement une répétition de l’histoire. Dès 1963, la France avait favorisé l’ascension politique d’Omar Bongo. En 2009, elle aida à installer au pouvoir un homme dont une écrasante majorité de la population gabonaise ne voulait pas. L’histoire se répétait.
Au vu de ce que je viens de te dire sur la Françafrique, tu peux identifier clairement la source première des malheurs du Gabon. Les populations locales en portent certainement une part de responsabilité. Sans doute notre sous-développement économique est-il aussi lié à notre tempérament. A nos mœurs. Je me suis néanmoins étendu sur la Françafrique afin de te montrer que notre « horreur économique », comme disait une essayiste française, témoigne clairement d’une relation franco-gabonaise construite avec deux objectifs majeurs : 1/garantir le pouvoir d’un homme (Omar Bongo) et aujourd’hui celui de son fils ; 2/préserver les intérêts économiques de la France au Gabon. Même si les choses sont en train de changer avec l’arrivée de nouveaux opérateurs économiques en Afrique, il reste que l’histoire, commencée avec le père, se poursuit avec le fils.
Au lendemain du décès d’Omar Bongo, un journaliste interroge une femme éplorée : « pouvez-vous désigner une des réalisations marquantes du défunt président ? » La femme hésite, bafouille avant de répondre : « On ne pleure pas Bongo pour ce qu’il a fait. Malgré qu’il n’a pas fait grand-chose pour le peuple, on le pleure quand même. On le pleure par nostalgie. »
Au début de mon propos, je t’ai dit que je n’avais rien contre la personne d’Ali Ben Bongo même si sa tête à la Bokassa ne m’inspire rien de beau. Je refuse l’idée politique qu’il incarne. Elle a pour essence le règne de la brutalité et la confiscation du pouvoir. Il y a une chose que tu dois retenir. Lorsqu’un pouvoir politique est usurpé, puis exercé sans contrôle, il devient source de dérives et perd toute légitimité. Les représentants d’un tel pouvoir se croient alors dépositaires d’un droit divin sur le territoire qu’ils gouvernent de force. C’est un peu cela que sous-entend Bongo lorsqu’il dit que « Dieu nous a donné le Gabon ». En démocratie, le pouvoir ne dérive pas de Dieu. Il est arbitré par le vote du peuple. Sans un tel arbitrage, on est dans un régime monarchique, la dictature, un pouvoir voyou. La preuve en est que les élections, on vole. Les institutions prétendument républicaines, on verrouille en y installant des fidèles. La presse et l’opposition, on musèle. Toute cette stratégie d’anaconda, d’étouffement de l’élan démocratique et républicain est menée au nom de l’émergence économique du Gabon. Et la communauté internationale applaudit. La France approuve et les gabonais tournent les yeux vers les cieux et se demandent à quand la fin des promesses, des mensonges, des cévices et autres actions visant à maintenir le gabon sur les rangs des pays sous dévellopés malgré ses hypers richesses et ses intélligences.
l'avenir nous le dira à bon entendeur !!!