Georges Brassens, né à Sète dans l'Hérault le 22 octobre 1921 et mort à Saint-Gély-du-Fesc (également dans l'Hérault) le 29 octobre 1981, est un poète et auteur-compositeur-interprète français.
Il mit en musique et interpréta, en s’accompagnant à la guitare, plus d'une centaine de ses poèmes et ceux d’autres poètes dont Paul Fort. Il enregistra de 1952 à 1976, quatorze albums. Il reçut le Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1967.
Il est l’auteur des chansons : Les Copains d'abord, Chanson pour l'Auvergnat, Le Gorille, Les Amoureux des bancs publics, La Mauvaise Réputation, Je me suis fait tout petit, L’Orage, Dans l’eau de la claire fontaine, Les Trompettes de la renommée, Supplique pour être enterré à la plage de Sète, La Non-Demande en mariage, Fernande, Quatre-vingt-quinze pour cent et Mourir pour des idées.
Biographie[modifier]
Georges Brassens est né dans un quartier populaire du port de Cette (le nom de la ville ne sera orthographié Sète qu’en 1928, le chanteur évoquant ce changement d'orthographe dans sa chanson Jeanne Martin). Dans la maison familiale1 il est entouré de sa mère Elvira (+ 1962)2, de son père Jean-Louis (+ 1965), de sa demi-sœur Simone (1912-1994), née du premier mariage de sa mère) et de ses grands-parents paternels, Jules et Marguerite.
Sa mère, dont les parents étaient originaires de Marsico Nuovo dans la région de Basilicate en Italie du sud, est une catholique d'une grande dévotion. Veuve de guerre, Elvira épousa Jean-Louis Brassens en 1919. Ce dernier, qui sera le père de Georges, entrepreneur de maçonnerie, est un homme paisible, généreux, libre-penseur, anticlérical et doté d'une grande indépendance d'esprit. Deux caractères très différents, qu'une chose réunit : le goût de la chanson. D’ailleurs, tout le monde chante à la maison. Sur le phonographe : les disques de Mireille, Jean Nohain, Tino Rossi ou Ray Ventura et ses Collégiens.
Selon le souhait de sa mère, Georges commence sa scolarité, à l'âge de 4 ans, dans l’institution catholique des sœurs de Saint-Vincent. Il en sort deux ans après pour entrer à l’école communale, selon le désir de son père. À 12 ans, il entre en sixième au collège3. Georges est loin d’être un élève studieux, ses amis le décrivent comme plutôt rêveur en classe4. Mais, après l'école, il préfère les jeux, les bagarres, les bains de mer et les vacances. Afin que son carnet de notes soit meilleur, sa mère lui refuse des cours de musique. Il ignorera donc tout du solfège, mais cela ne l’empêchera pas de griffonner des chansonnettes sur ses premiers poèmes.
En 1936, il s'ouvre à la poésie grâce à son professeur de français, Alphonse Bonnafé, alias « le boxeur ». L’adolescent s’enhardit à lui soumettre quelques-uns de ses bouts rimés. Loin de le décourager, l'enseignant lui conseille plus de rigueur et l'intéresse à la technique de versification et à l'approche de la rime. À la poésie et à la chanson populaire s’ajoute sa passion pour les rythmes nouveaux venus d’Amérique qu’il écoute à la TSF : le jazz. En France, Charles Trenet conjugue tout ce qu'il aime. Il sera un modèle.
« On était des brutes, on s'est mis à aimer [les] poètes. […] Et puis, grâce à ce prof, je me suis ouvert à quelque chose de grand. Alors, j’ai voulu devenir poète…5 »
Son intérêt croissant pour la poésie ne lui ôte pas le goût pour les « quatre cents coups ». À 16 ans, il s’implique, au printemps 1938, dans une fâcheuse aventure. Dans le but de se faire de l'argent de poche, la bande de copains dont il fait partie commet quelques larcins. Par facilité, les proches en sont les principales victimes. Georges, de son côté, subtilise bague et bracelet de sa sœur. Ces cambriolages répétés mettent la ville en émoi. Lorsque la police arrête enfin les coupables, l’affaire fait scandale. Indulgent, Jean-Louis Brassens ne lui adresse aucun reproche quand il va le chercher au poste de police. Pour saluer l’attitude de son père, il en fera une chanson : Les Quatre bacheliers « Mais je sais qu'un enfant perdu […] a de la chance quand il a, sans vergogne, un père de ce tonneau-là ». Par égard pour son père, il ne la chantera qu’après sa mort.
« Je crois qu'il m'a donné là une leçon qui m'a aidé à me concevoir moi-même : j'ai alors essayé de conquérir ma propre estime. […] J'ai tenté, avec mes petits moyens, d'égaler mon père. Je dis bien tenté…6 »
Pour sa part, cette mésaventure se solde, en 1939, par une condamnation d'emprisonnement avec sursis7. Il ne retournera pas au collège. Il passe l’été en reclus dans la maison (il se laisse pousser la moustache). Le 3 septembre, la guerre contre l'Allemagne est déclarée. Il pourrait devenir maçon auprès de son père, mais, peine perdue, il ne se satisfait pas de cette perspective. Il persuade ses parents de le laisser tenter sa chance à Paris et fuir ainsi l’opprobre qui lui colle à la peau.
En février 1940, Georges est hébergé, comme convenu avec ses parents, chez sa tante Antoinette Dagrosa, dans le XIVe arrondissement8. Chez elle, il y a un piano. Il en profitera pour maîtriser l’instrument à l’aide d’une méthode, malgré sa méconnaissance du solfège. Pour ne pas vivre à ses dépens, comme promis, il recherche du travail. Il obtient celui de manœuvre dans un atelier des usines Renault. Cela ne durera pas ; le 3 juin, Paris et sa région sont bombardés et l’usine de Billancourt est touchée. Le 14, l’armée allemande entre dans la capitale. C’est l’exode de la population. Georges retourne dans sa ville natale. L’été passé, certain que son avenir n'est pas là, il revient chez sa tante, dans un Paris occupé par la Wehrmacht. Tout travail profitant maintenant à l'occupant, il n'est plus question d'en rechercher.
Georges passe ses journées à la bibliothèque municipale du quartier. Conscient de ses lacunes en matière de poésie, il apprend la versification et lit Villon, Baudelaire, Verlaine, Hugo et tant d’autres. Il acquiert ainsi une grande culture littéraire qui le pousse à écrire ses premiers recueils de poésie : Les Couleurs vagues, Des coups d'épée dans l'eau, annonçant le style des chansons à venir et À la venvole9, où son anarchisme se fait jour. Ce dernier est publié en 1942, grâce à l'argent de ses proches : ses amis, sa tante et même une amie de celle-ci, une couturière nommée Jeanne Le Bonniec, qui apprécie beaucoup ses chansons (elle épousera en juin Marcel Planche, peintre en carrosserie).
En février 1943, l'Allemagne nazie impose au gouvernement de Vichy la mise en place d’un service du travail obligatoire (STO). Georges, 22 ans, est concerné. Convoqué à la mairie du XIVe arrondissement, il reçoit sa feuille de route. De sévères mesures de représailles sont prévues pour les réfractaires. Le 8 mars, il est en gare de l’Est pour se rendre en Allemagne, vers le camp de travailleurs de Basdorf, près de Berlin. Là-bas, il travaille dans la manufacture de moteurs d’avion BMW.
On le voit souvent plongé dans des bouquins ou écrire des chansons, qui divertissent ses compagnons, et la suite d’un roman commencé à Paris, Lalie Kakamou. Des amitiés, auxquelles il restera fidèle tout au long de sa vie, se font jour – notamment avec André Larue, René Iskin et, plus particulièrement, Pierre Onténiente, le bibliothécaire à qui il emprunte régulièrement des livres.
En mars 1944, Georges Brassens bénéficie d’une permission de quinze jours10. C’est une aubaine à saisir : il ne retournera pas en Allemagne.
À Paris, il lui faut trouver une cachette car il est impossible de passer à travers les filets de la Gestapo en restant chez la tante Antoinette. Jeanne Planche accepte d'héberger ce neveu encombrant. Avec son mari Marcel, elle habite une maison extrêmement modeste au 9, impasse Florimont. Georges s’y réfugie le 21 mars 1944, en attendant la fin de la guerre. On se lave à l’eau froide, il n’y a ni gaz, ni électricité (donc pas de radio), ni le tout-à-l’égout. Dans la petite cour, une vraie ménagerie : chiens, chats, canaris, tortues, buse… et la fameuse cane qu'il célèbrera dans une chanson. Il est loin de se douter qu’il y restera vingt-deux ans.
Dans ce cocon — il se lève à 5 heures du matin et se couche avec le soleil (rythme qu'il gardera la majeure partie de sa vie) —, il poursuit l'écriture de son roman et compose des chansons en s’accompagnant d’un vieux banjo.
« J'y étais bien, et j'ai gardé, depuis, un sens de l'inconfort tout à fait exceptionnel11. »
Cinq mois plus tard, le 25 août, c’est la libération de Paris. La liberté soudainement retrouvée modifie peu ses habitudes. Avec leur consentement, il se fixe à demeure chez les Planche. Sa carte de bibliothèque récupérée, Brassens reprend son apprentissage de la poésie et s’adonne à nouveau à la littérature.
La fin de la guerre, signée le 8 mai 1945, marque le retour à Paris des copains de Basdorf. Avec ses amis retrouvés, Brassens projette la création d'un journal à tendance anarchiste, Le Cri des gueux. Après la sortie du premier numéro, faute de financement suffisant, le projet tourne court.
Parallèlement, il monte, avec Émile Miramont (un copain sétois) et André Larue (rencontré à Basdorf), le « Parti préhistorique » qui vise surtout à tourner en dérision les autres partis politiques et qui préconise un retour à un mode de vie plus simple. Ce parti ne verra jamais le jour, suite à l’abandon de Miramont12.
Avec l’aide financière de Jeanne, il achète la guitare d’un ami. Elle lui sera volée13.
En 1946, il hérite du piano de sa tante Antoinette, morte en juillet. Cette année-là, il ressent ses premiers maux de reins accompagnés de crises de coliques néphrétiques.
En septembre 1946, il se lie avec des militants de la Fédération anarchiste pour écrire quelques chroniques dans leur journal, Le Libertaire14, sous les pseudonymes de Gilles Colin ou Geo Cédille. Ce sont des articles virulents, teintés d'humour noir, envers tout ce qui porte atteinte aux libertés individuelles. La violence de sa prose ne fait pas l’unanimité auprès de ses collègues.
En juin 1947, il quitte la Fédération en gardant intacte sa sympathie pour les anarchistes (plus tard, Brassens ira régulièrement se produire bénévolement dans les galas organisés par Le Monde libertaire).
Son roman achevé en automne est publié à compte d’auteur. Lalie Kakamou est devenu La Lune écoute aux portes. Estampillé NRF, la couverture plagie, par provocation, celles de la maison Gallimard. Brassens adresse une lettre à l’éditeur concerné pour signaler cette facétie. Contre toute attente, il n’y aura aucune réaction.
Pour ne pas attiser la jalousie de Jeanne, Georges a vécu des amourettes clandestines. Il y eut en particulier Jo, 17 ans (juin 1945 – août 1946). Une relation tumultueuse qui lui inspira peut-être quelques chansons : Une jolie fleur, P... de toi et, en partie, Le Mauvais Sujet repenti (modification de Souvenir de parvenue déjà écrite à Basdorf.)
En 1947, il rencontre Joha Heiman (1911-1999, morte dix-huit ans après lui et enterrée avec lui). Originaire d’Estonie, elle est son aînée de neuf ans – affectueusement, il l’appelle « Püppchen », petite poupée en allemand, mais ils l'orthographieront tous les deux « Pupchen » (c'est le nom gravé sur leur tombe(lettre-au-maire-pour-venir-au-secours-de-la-poupee)). Désormais, on ne connaîtra pas d'autres conquêtes féminines au fidèle Brassens. Ils ne se marieront jamais ni ne cohabiteront. Il lui écrira J’ai rendez-vous avec vous, Je me suis fait tout petit (devant une poupée), Saturne, La Non-Demande en mariage et Rien à jeter.
Ses talents de poète et de musicien sont arrivés à maturité. De nombreuses chansons sont déjà écrites. Pratiquement toutes celles de cette époque qu'il choisira d'enregistrer deviendront célèbres, comme Le Parapluie, La Chasse aux papillons, J'ai rendez-vous avec vous, Brave Margot, Le Gorille, Il n'y a pas d'amour heureux.
La personnalité de Brassens a déjà ses traits définitifs : la dégaine d'ours mal léché, la pipe et les moustaches, le verbe libre, imagé et frondeur et pourtant étroitement soumis au carcan d'une métrique et d'un classicisme scrupuleux, le goût des tournures anciennes, le culte des copains et le besoin de solitude, une culture littéraire et chansonnière pointue, un vieux fond libertaire, hors de toute doctrine établie, mais étayé par un individualisme aigu, un antimilitarisme viscéral, un anticléricalisme profond et un mépris total du confort, de l'argent et de la considération. Il ne changera plus.
En 1951, Brassens rencontre Jacques Grello, chansonnier et pilier du Caveau de la République qui, après l'avoir écouté, lui offre sa propre guitare et lui conseille, plutôt que du piano, de s’accompagner sur scène avec cet instrument15. Ainsi « armé », il l'introduit dans divers cabarets pour qu'il soit auditionné. Alors, il compose d'abord sur piano ses chansons qu'il transcrit pour guitare.
Sur scène, Brassens ne s’impose pas. Intimidé, paralysé par le trac, suant, il est profondément mal à l'aise. Il ne veut pas être chanteur, il préférerait proposer ses chansons à des chanteurs accomplis, voire à des vedettes de la chanson.
Après plusieurs auditions infructueuses, Brassens est découragé. Roger Thérond et Victor Laville, deux copains sétois, journalistes du magazine Paris Match, viennent le soutenir et tentent de l'aider dans la mesure de leurs moyens. Ils lui obtiennent une audition « Chez Patachou » le jeudi 24 janvier 1952, dans le cabaret montmartrois de la chanteuse16. Le jour dit, et au bout de quelques chansons, Patachou est conquise. Enhardi, Brassens lui propose ses chansons. Elle ne dit pas non et l'invite même à se produire dans son cabaret dès que possible17. Les jours suivants, malgré son trac, Georges Brassens chante effectivement sur la scène du restaurant-cabaret de Patachou. Pour le soutenir, Pierre Nicolas, bassiste dans l'orchestre de la chanteuse, l’accompagne spontanément.
Quand Patachou parle de sa découverte, elle ne manque pas de piquer la curiosité du dirigeant du théâtre des Trois Baudets, Jacques Canetti, également directeur artistique chez Philips. Le 9 mars 1952, il se rend au cabaret « Chez Patachou », écouter le protégé de la chanteuse. Emballé, il convainc le président de Philips de lui signer un contrat. Le quotidien France Soir, du 16-17 mars, titre : « Patachou a découvert un poète ! »
Le 19 mars, l’enregistrement du Gorille et du Mauvais sujet repenti s’effectue au studio de la Salle Pleyel. Certains collaborateurs, offusqués par Le Gorille, s’opposent à ce que ces chansons sortent sous le label de Philips. Une porte de sortie est trouvée par le biais d’une nouvelle marque qui vient d’être acquise : Polydor. D'avril à novembre, neuf chansons sortiront sur disques 78 tours. L'une d'elles, Le Parapluie, est remarquée par le réalisateur Jacques Becker qui l'utilise pour son film Rue de l'Estrapade. Éditée sur disque en même temps que la sortie du film en salle, elle est distinguée par l’Académie Charles-Cros l’année suivante en obtenant le Grand Prix du disque 195418.
Le 6 avril, Brassens fait sa première émission télévisée à la RTF. Il chante La Mauvaise Réputation devant le public de l’Alhambra. Du 28 juillet au 30 août, il fait sa première tournée en France, en Suisse et en Belgique, avec Patachou et Les Frères Jacques.
Il est engagé à partir du mois de septembre au « Trois Baudets » ; le théâtre ne désemplit pas. Dans le public, les chansons comme Hécatombe et Le Gorille scandalisent les uns, ravissent les autres. Ces controverses contribuent à faire fonctionner le bouche à oreille. Dès lors, Georges Brassens gravit les échelons du succès et de la notoriété. En 1953, tous les cabarets le demandent et ses disques commencent à bien se vendre chez les disquaires. Son premier passage à Bobino, sa salle de prédilection, « l'usine » comme il se plaisait à le dire, à « quatre pas de sa maison » se fera en février 1953, avec l'accord des Trois Baudets (Jacques Canetti), son second passage en octobre 1953, mais pas encore en « vedette ».
Lui qui a longtemps hésité entre une carrière de poète et celle d’auteur-compositeur est maintenant lancé dans la chanson. Loin de juger la chanson comme une expression poétique mineure, il considère que cet art demande un équilibre parfait entre le texte et la musique et que c’est un don qu’il possède, que de placer un mot sur une note[réf. nécessaire]. Extrêmement exigeant, il s’attache à écrire les meilleurs textes possibles. Jamais satisfait, il les remanie maintes fois : il change un mot, peaufine une image, jusqu'à ce qu'il estime avoir atteint son but.
Patachou, qui a mis avec succès plusieurs chansons de son poulain à son répertoire, enregistre neuf titres le 23 décembre 1952, au studio Chopin-Pleyel, pour l’album Patachou… chante Brassens. Pour ce disque, il lui a donné une chanson en exclusivité : Le Bricoleur (boîte à outils) et, de plus, ils chantent en duo Maman, Papa19.
Séduit par les chansons qui passent à la radio, l’écrivain René Fallet va l’entendre un soir aux Trois Baudets. Il est loin d’être déçu et son enthousiasme le pousse à publier un article dithyrambique dans Le Canard enchaîné du 29 avril 1953 : « Allez, Georges Brassens ! »
« La voix de ce gars est une chose rare et qui perce les coassements de toutes ces grenouilles du disque et d’ailleurs. Une voix en forme de drapeau noir, de robe qui sèche au soleil, de coup de poing sur le képi, une voix qui va aux fraises, à la bagarre et… à la chasse aux papillons. »
Touché, Brassens lui écrit pour le remercier et lui demander de venir le voir aux « Baudets ». Leur rencontre sera le début d’une amitié qui durera le restant de leur vie.
Son second roman, La Tour des miracles avec Jean , est publié en juin, aux éditions des Jeunes Auteurs réunis, dirigées par Jean-Pierre Rosnay, qui est aussi l'auteur de la préface. Son premier album, Georges Brassens chante les chansons poétiques (… et souvent gaillardes) de… Georges Brassens, sort chez Polydor en octobre. Devenu vedette, il triomphe en tête d’affiche de Bobino (16 au 29 octobre 1953).
En 1954, c'est au tour de l’Olympia (23 février au 4 mars et du 23 septembre au 12 octobre). Pour cette grande scène, il fait appel à Pierre Nicolas pour l’accompagner à la contrebasse, marquant ainsi le début d’une collaboration qui durera presque trente ans. Le bassiste sera désormais de toutes les scènes et de tous les enregistrements. Bobino (du 25 novembre au 15 décembre) achève cette année qui a vu la publication, en octobre, de La Mauvaise réputation, recueil où sont réunis des textes en prose et en vers, dont une pièce de théâtre : Les Amoureux qui écrivent sur l’eau.
Avec le succès, l’argent commence à rentrer et il faut faire face à la gestion du métier. En 1954, Pierre Onténiente, le copain de Basdorf, a accepté de l’aider sans contrepartie pour s’occuper de ses affaires. Avant de franchir le pas plus avant, il fait son apprentissage auprès de Ray Ventura, l'éditeur de Georges.
En 1955, Brassens fait l’acquisition de la maison des Planche et de celle qui lui est mitoyenne pour l’agrandir. L’eau et l’électricité installées, il la leur offre. La vie continue comme avant. Cette même année il rencontre Paul Fort, poète qu’il admire et qu’il a chanté à ses débuts (Le Petit Cheval20, sur son deuxième disque 78 tours deux titres). Avant sa tournée en Afrique du Nord et son passage à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, il compose des musiques sur deux autres de ses poèmes : Comme hier et La Marine21 en vue de son nouveau passage à l’Olympia (du 6 au 27 octobre). La nouvelle station de radio, Europe 1, qui vient d’apparaître sur les ondes, est un événement important dans sa carrière. C’est la seule qui diffuse ses chansons interdites sur les radios d’État. En 1956, Brassens sera animateur sur Europe 122.
Prêt à se consacrer à son ami, Pierre Onténiente quitte son emploi en janvier 1956. Son baptême du feu : le prochain passage à Bobino de l’artiste (27 janvier – 16 février). Entre-temps, à la demande de René Fallet, Brassens a accepté, par amitié, de faire l’acteur aux côtés de Pierre Brasseur et Dany Carrel. Le roman de son ami, La Grande Ceinture, est adapté à l’écran par René Clair. Il s’intitulera Porte des Lilas. Dans cette affaire, Onténiente y gagnera son sobriquet de « Gibraltar ». Le trouvant aussi résistant qu’un roc quand il défend les intérêts de son « protégé », le réalisateur le compare au Rocher de Gibraltar. Friand de surnoms, Brassens l’adopte pour dénommer son ami et, désormais, secrétaire-imprésario. Trois chansons arrivent à point pour illustrer le film : Au bois de mon cœur, L'Amandier et Le Vin23.
Moulin de La Bonde.En 1957, Brassens et Gibraltar créent les éditions 57.
La maison de Jeanne, impasse Florimont, est toute petite. Pour vivre comme il l'entend, il jette son dévolu, en 1958, sur le moulin de La Bonde, au bord du Ru de Gally, à Crespières, dans les Yvelines. Il s'y rend souvent pour, entre autres, y honorer grandement l’amitié des copains d’enfance : Victor Laville, Émile Miramont, Henri Colpi, Roger Therond ; de ceux de Basdorf : René Iskin, André Larue ; des anars du Libertaire ; des amis du monde de la chanson et du spectacle : Marcel Amont, Guy Béart, Georges Moustaki, Jacques Brel, Pierre Louki, Jean Bertola, Boby Lapointe, Lino Ventura, Raymond Devos, Jean-Pierre Chabrol, Bourvil (en voisin), Fred Mella (soliste des Compagnons de la chanson) et bien d’autres. Fidèles, jusqu’à la fin. Seule Jeanne refusera de venir au moulin.
Dorénavant, il cesse de se produire dans les cabarets pour alterner les tours de chant entre Bobino et l’Olympia. Il poursuit ses tournées à l’étranger (1958 : Suisse, Rome, 1959 : Belgique, Afrique du Nord, 1961 : Québec, etc.).
Jacques Charpentreau, écrit le premier ouvrage sur le chanteur : Georges Brassens et la poésie quotidienne de la chanson24.
En 1961, il sort un disque en hommage à Paul Fort, mort l’année précédente, disque où sont réunis les sept poèmes qu’il a mis en musique25.
Georges Brassens sur scène en 1964.En avril 1962, il fête ses dix ans de carrière à Bobino. Le 15 mai, il monte un spectacle en hommage à Paul Fort, au théâtre Hébertot. Le 5 décembre, jour de la première à l’Olympia avec Nana Mouskouri, il souffre d’une crise de coliques néphrétiques. Sur l’insistance de Bruno Coquatrix, il honore les dates prévues à partir du lendemain jusqu’au 24 décembre. Chaque soir, une ambulance l’attend. Suite à cette douloureuse expérience, il ne retournera plus à l’Olympia26. Le 31 décembre, il apprend la mort de sa mère. Le jour même, il se rend à Sète puis regagne Marseille pour se produire à l’Alcazar. « Pour la première fois, ce soir, elle me voit chanter » dit-il27.
Le prix Vincent Scotto, décerné par la SACEM, gratifie Les Trompettes de la renommée, de meilleure chanson de l'année 1963. En octobre, le numéro 99 de la très sélective collection « Poètes d’aujourd’hui », qui paraît chez les libraires, est consacré à Georges Brassens. Quand l’éditeur, Pierre Seghers, lui avait fait part de ce projet, Brassens accepta à condition que son ancien professeur de français, Alphonse Bonnafé, soit l’auteur du texte28. Brassens est ainsi le second auteur de chansons (après Léo Ferré), à figurer dans cette collection. Dans son journal, René Fallet écrit :
« C’est le triomphe enfin avoué et officiel de ceux qui, voilà dix ans, criaient au poète pour les sourds29. »
Georges Brassens sur scène en 1964.Dix ans se sont écoulés depuis la parution de son premier album — neuf ont paru, quatre-vingts chansons ont été enregistrées. Pour marquer cet anniversaire, un coffret de six 33 tours 30 cm, Dix ans de Brassens, est mis en vente. Le 6 novembre, Georges Brassens se voit honoré pour cet ouvrage, par l’Académie Charles-Cros, en recevant le Grand Prix international du disque 1963 des mains de l’écrivain Marcel Aymé.
Souffrant de calculs rénaux depuis plusieurs mois déjà, les crises de coliques néphrétiques deviennent plus aigües. Il subit une opération des reins à la mi-janvier. Après une longue convalescence, il est à nouveau sur les planches de Bobino en septembre.
Le film d’Yves Robert, Les Copains, sort en 1965. Pour le générique, Brassens a composé une chanson : Les Copains d’abord30. Le succès qu’elle rencontre est tel qu’il rejaillit sur les ventes de son premier album 33 tours 30 cm et sur son triomphe à Bobino (du 21 octobre au 10 janvier 1965) avec, en alternance, Barbara31, Serge Lama, Michèle Arnaud, Brigitte Fontaine ou Boby Lapointe. L'une de ses nouvelles chansons, Les deux oncles, où il renvoie dos à dos les deux camps de la Seconde Guerre mondiale pour exprimer l’horreur que lui inspire la guerre, jette le trouble et lui vaut des inimitiés chez certains de ses admirateurs.
Louis Brassens, lui non plus, n’aura jamais vu son fils sur scène ; il meurt le 28 mars 1965 et Marcel Planche, quant à lui, le 7 mai suivant.
Lors d’une émission radiophonique (Musicora), diffusée en direct du théâtre de l'ABC le 12 octobre, Georges Brassens réalise un rêve : chanter avec Charles Trenet32. Ils renouvelleront cette expérience pour une émission télévisée (La La La), en mars 1966. L’estime qu’ils se portent est réciproque, mais Trenet garde ses distances. « C’est le grand regret de Georges. S’il y en avait un qu’il aurait vraiment aimé fréquenter, c’est bien Trenet. Or il s’est trouvé que Trenet [...] n’a rien fait pour aller vers Georges. »33
Pour rompre sa solitude, Jeanne se remarie à 75 ans, le 26 mai 1966, avec un jeune homme de 37 ans. Contrarié par ce mariage, Brassens quitte l'impasse Florimont pour emménager dans un duplex près de la place Denfert-Rochereau34. Jacques Brel, qu’il a connu aux « Trois Baudets » en 1953, est son voisin ; il s’apprête à faire ses adieux sur la scène de l’Olympia. Par amitié, Brassens écrit le texte du programme de cet événement. Du 16 septembre au 22 octobre, Georges Brassens se produit sur les planches du Théâtre national populaire (TNP) avec Juliette Gréco qui en assure la première partie35. Chaque soir, il présente sa Supplique pour être enterré sur la plage de Sète et fait part de son Bulletin de santé — en réponse aux rumeurs distillées par une certaine presse — et pour faire bonne mesure, il exprime le peu de bien qu'il pense des mouvements politiques de toutes sortes dans Le Pluriel.
Habitué à souffrir de ses calculs rénaux, il a laissé passer le temps. Au mois de mai 1967, une nouvelle crise l’oblige à interrompre une tournée pour subir une deuxième opération des reins. Le 8 juin, parrainé par Marcel Pagnol et Joseph Kessel, l'Académie française lui décerne le Grand Prix de poésie pour l’ensemble de son œuvre. Brassens en est honoré, mais pense ne pas le mériter.
« Je ne pense pas être un poète… Un poète, ça vole quand même un peu plus haut que moi… Je ne suis pas poète. J’aurais aimé l’être comme Verlaine ou Tristan Corbière36. »
René Fallet sort à son tour un livre sur son ami, aux éditions Denoël.
Après Mai 68, quand on lui demande ce qu’il faisait pendant les événements, il répond malicieusement : « Des calculs ! »37
Le 24 octobre, avec son ami Fallet, il est au chevet de Jeanne qui meurt faute d’avoir pu surmonter le choc de son opération de la vésicule biliaire. Elle avait 77 ans.
Le 6 janvier 1969, à l'initiative du magazine Rock & Folk et de RTL, Georges Brassens, Léo Ferré et Jacques Brel sont invités à débattre autour d'une table.
Cette année-là, il franchit les limites du quatorzième arrondissement pour emménager dans une maison du quartier Saint-Lambert38. Bobino l'attend à nouveau à partir du 14 octobre.
En décembre, pour satisfaire à la demande de son ami sétois, le cinéaste Henri Colpi, il enregistre la chanson écrite par ce dernier et composée par Georges Delerue pour illustrer le film dans lequel joue Fernandel : Heureux qui comme Ulysse39.
Georges Brassens | |
|
|
Nom | Georges Charles Brassens |
---|---|
Naissance |
22 octobre 1921 Sète, France |
Décès |
29 octobre 1981 (à 60 ans) Saint-Gély-du-Fesc, France |
Activité principale | auteur-compositeur-interprète |
Genre musical | chanson française |
Instruments | guitare acoustique |
Années d'activité | 1951–1981 |
Labels |
Philips Universal Music Group |
Sommaire[masquer]
|