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Qu’écoutent vos oreilles ?
Elles écoutent le Mvett !

Après un moment de silence, le patriarche Ekang N’na se remit à parler, fixant alternativement Akoma Mba, Medang Boro Endong et Angoung Bere Osse qui étaient descendus au pays des morts pour le rencontrer.

« Votre monde sert d’abris aux Mortels. Ils ont eux-mêmes anéanti leurs repères et sont plongés dans l’obscurité. Les ancêtres ne leur parlent plus. Leur chemin, au départ vertueux, s’est progressivement voilé face à l’incroyable mésaventure de la modernité, qui leur a fait croire que la mort consacre la fin de la vie, alors qu’elle n’est que le prolongement de la naissance physique dont elle vient clore les effets. De vos jours, le mortel qui s’engage sur le chemin de la connaissance de l’immortalité est au départ verbeux et diffus sur ses objectifs. Il ne sait pas ce qu’il cherche. Il est seul. Il a froid. Il tergiverse, il hésite, balbutie. Bien qu’habité par la nécessité et l’urgence, il est d’abord en quête souffreteuse de quelque chose qui ne se dévoile pas encore en lui. Sa cible consciente est imprécise, ses intentions vagues, sa clairvoyance troublée. Il espère quelques récompenses, dont les plus valeureuses à ses yeux sont encore matérielles, parce qu’il ne sait rien des difficultés ni du but ultime de sa démarche.

« Le voilà qui s’enfonce dans sa quête, d’abord à tâtonnement puis de façon plus intense, plus dense, plus ciblée… Il prend la route Bikalik qui descend vers Engong, il sort de l’enfermement. Ce qu’il reçoit alors est décalé de ses espérances premières, loin de ce qu’il s’imaginait. Il est perturbé, perd ses repères.

Image adaptée (c) Alum Ndong Minko

« Et ainsi commence-t-il à prendre peur. Il est saisi d’effroi, le doute s’installe et s’intensifie. Oui ! La plongée en soi à la recherche d’Eyo’o n’est jamais ce que l’on en pensait de prime abord. Voir en soi, c’est toujours regarder au-delà de ce qui est perceptible. C’est pousser son esprit au-devant de ses propres frontières en dépassant tous les plafonds sensibles : la vue, l’ouïe, l’odorat, le gouter, le toucher et faire abstraction des signes et des sensations extérieurs qui égarent la vérité dans la réalité physique et matérielle. C’est se déshabiller, se déshabituer, se désaccoutumer, se défamiliariser, se désolidariser du sens commun des sens et s’offrir à la perception du neuf dans le commun, de l’exceptionnel dans le banal. C’est attaquer des convictions de vie solidement ancrées et plonger tête la première dans Dzam-Anene, le grand fleuve qui sépare le monde des mortels de celui des immortels. Le théâtre de cette quête devient vite un redoutable champ de bataille.

« Et si le mortel s’enfuit et retourne au village parce qu’il est terrifié par la violence de ce combat, la quête s’interrompt sans aucun bénéfice. Il sera juste un peu mouillé par la peur. Pourtant cette épouvante est une cape dont il doit se parer. Il lui faut replonger dans Dzam-Anene, ce lac sans fond, son puits sans fin, sans se retourner. Il doit descendre à l’intérieur de lui avec courage. Quand l’oxygène viendra à lui manquer, il apprendra à respirer autrement. Et le moment viendra ou ses premiers doutes se dissiperont. C’est là qu’il constatera qu’il est sur la route qui est depuis longtemps partie d’Engong vers lui. Elle est déjà là, porteuse de clarté à Okü, au cœur du mortel. Pourtant, ce dernier ne comprend toujours pas qu’elle est là, à sa portée. Comme Obame Andome, qui s’en est allé s’offusquer contre l’établissement d’un éphémère pont de pythons sur le fleuve Melole, alors que la route avait depuis longtemps dépassé la frontière Dzam-Anene.

« Quand le mortel se réconciliera avec la route qui permet aux Immortels de certifier bikàlik !(nous ne vous abandonnons pas !), il commencera à se sentir sûr de lui. Une fois qu’il a vaincu la peur, il s’est émancipé d’elle pour le reste de sa vie. Il a acquis la clarté. Il émerge sur l’autre rive. À ce moment-là l’homme connaît ses désirs ; il sait les satisfaire. Il peut prévoir les nouvelles étapes de la recherche, et une clarté évidente entoure tout. Le mortel sent que rien n’est caché. Pourtant cette clarté de l’esprit si dure à atteindre, dissipe la peur, mais aveugle également. Elle le conduit à ne jamais avoir de doute. Elle le plonge dans un pouvoir superficiel et temporel, qui lui donne l’illusion qu’il est maître du monde, déjà Immortel. Il croit avoir touché la terre fertile d’Engong. L’homme ne recherche plus ou n’aspire plus à rien. Pire, c’est là qu’il tente de détruire la route qui doit le ramener à Engong Zok Mebegue Me Mba. Puisqu’en son terme, il ne voit que Bikalik, une autre forme de prison, lui semble-t-il. Sans conscience, il va chercher à saccager le chemin et son environnement vertueux d’élévation.

Au contraire, il doit défier ce pouvoir naissant en lui, délibérément. Il doit réaliser qu’en vérité, le pouvoir qu’il a apparemment conquis n’est jamais à lui. S’il peut s’apercevoir que la clarté et le pouvoir sans contrôle sont la pire des erreurs, il saura alors quand et comment employer son pouvoir.

« Au départ de sa recherche, il se croyait faible. Il a combattu cette faiblesse en plongeant au plus profond de lui pour y puiser de la force et retrouver le chemin. Mais une fois cette force acquise, il doit aussi la combattre et la discipliner pour qu’elle ne le domine pas et ne le réduise pas en esclavage. L’équilibre apparaîtra quand le mortel aura réussi à dompter la faiblesse et la force. »

 

Omer Ntougou Ndoutoume
Du Mvett, la généalogie du silence, Livre 2
Edilivre, mars 2020

Tag(s) : #Mvett
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